La communion dans la main:

une désobéissance autorisée

In Memoriam S.E. Mgr Juan Rodolfo Laise au premier

anniversaire de son décès


Nicola Bux


traduit de l'italien par Christian de Cussac


Mgr Nicola Bux, docteur en sciences ecclésiastiques orientales à l’Institut pontifical oriental (PIO) de Rome, a été consulteur de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (2002-2013), du Bureau des célébrations liturgiques du Souverain Pontife (2008-2013), de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements (2010-2018) et de la Congrégation pour la Cause des saints (1998-2019).

Le cardinal Joseph Ratzinger avait nommé Mgr Bux comme expert pour les travaux préparatoires du Synode mondial des évêques et pour la rédaction des « Lineamenta », « L’Eucaristia fonte e culmine della vita e della missione della Chiesa » et de « l’Instrumentum laboris » (de mars 2003 à mai 2005). Devenu le pape Benoît XVI, il l’avait nommé « adiutor secretarii specialis » du Synode des évêques sur l’Eucharistie (du 2 au 23 octobre 2005) et du Synode de 2010 sur le Moyen-Orient.


Jusqu’au 26 avril 1996, l’épiscopat argentin était l’un des rares au monde à maintenir son refus de la pratique qui avait été introduite à la fin des années 1960 en opposition frontale à la volonté du pape Paul VI : la distribution de la Sainte Communion dans les mains des fidèles. En ce jour, la Conférence épiscopale d’Argentine, réunie en assemblée, obtint les votes nécessaires pour pouvoir demander à Rome l’indult devant lui permettre l’introduction de cette pratique pourtant contraire à la loi universelle de l´Église.

Rome concéda immédiatement l’indult mais le fit “ad normam” de l’instruction sur Le mode d’administration de la Sainte Communion, connue sous le nom de Memoriale Domini, où il était clairement stipulé que l’interdiction de donner la communion dans la main devait être universellement maintenue, mais que dans les lieux (et uniquement dans ces lieux) où son usage avait été abusivement introduit et s’était à ce point établi que les évêques de la conférence épiscopale locale considéraient qu’il n’y avait pas d’autre alternative que de le tolérer : « Le Saint Père […] concède que dans le territoire de votre Conférence épiscopale chaque évêque, selon sa prudence et sa conscience, peut autoriser dans son diocèse l’introduction du nouveau rite pour distribuer la communion ».

L’évêque alors de San Luis (Argentine), Juan Rodolfo Laise, estima, selon sa prudence et sa conscience, que ces circonstances n’étaient pas réunies dans son diocèse, aussi ne considéra-t-il pas opportun de faire usage dudit indult. Cette décision fut immédiatement interprétée par beaucoup comme une rupture de l’unité épiscopale, voire comme une « rébellion » contre une disposition liturgique qui, à partir de cet instant, devait se trouver en vigueur. L’évêque de San Luis consulta à ce propos les différents dicastères romains compétents qui, de manière unanime, approuvèrent sa décision.

Le 22 juillet dernier [2020] coïncide avec l’anniversaire du rappel à Dieu de Mgr Laise : celui-ci, une fois retiré et converti en évêque émérite, retourna à la vie conventuelle de son ordre, les Capucins, et se retira en 2001 au couvent de San Giovanni Rotondo –où vécut et est désormais vénéré le saint Padre Pío, auquel l’évêque argentin vouait une grande dévotion–. Là Mgr Laise exerça son ministère en recevant la confession des pèlerins, chaque jour, pendant presque vingt ans jusqu’à quelques mois avant sa mort survenue à ses 93 ans.

Beaucoup d’aspects de lui pourraient être évoqués, en tant que religieux, prêtre et évêque, mais nous nous limiterons à nous intéresser au livre qu’il publia pour expliquer sa position dans l’épisode que nous avons mentionné : livre, qu’à sa demande, j’ai eu l’honneur de présenter il y a de cela quelques années à l’occasion de la publication de son édition en italien – Comunione sulla mano, Documenti e storia, Cantagalli, 2016) au cours d’un colloque qui s’est tenu dans le Grand Amphithéâtre de l’Institut Patristique Augustinianum de Rome.

Il s’agit probablement du premier ouvrage spécifique consacré à la communion dans la main à être publié. Dans ce livre, l’auteur étudie en profondeur les aspects historiques, canoniques et théologiques de la modalité de recevoir la communion et son influence dans la dévotion et la vie spirituelle des fidèles.

Le livre est structuré comme un commentaire détaillé (paragraphe par paragraphe) des différents documents où est exprimée la législation en vigueur sur la manière de communier, auquel s’ajoute un appendice comprenant les aspects historiques qui resituent le contexte dans lequel ces documents virent le jour. Tout ceci permet de comprendre la “mens legislatoris”, à savoir l’intention du législateur –Paul VI en l’occurrence–, ce qui est un élément essentiel pour interpréter correctement une loi.

Enfin, après avoir répondu aux principaux arguments fréquemment utilisés pour justifier l’introduction de l’usage de la communion dans la main, le livre se conclut par une série de réflexions en vue d’une application concrète des différents aspects qui ont été exposés dans l’ouvrage.

Voyons maintenant certains de ces aspects les plus importants qui, bien souvent, sont des vérités oubliées qui tranchent avec nombre d’idées reçues.

Certains ne manqueront pas d’être surpris, par exemple, à la lecture de ce livre que cette manière de communier ne fut nullement considérée, pas même évoquée, par le Concile et qu’elle n’est pas non plus incorporée dans la réforme liturgique qui l’a suivi. De fait, cet usage, contraire aux normes, fut introduit en dehors de toute autorisation dans quelques régions au milieu des années soixante ; à telle enseigne que le pape Paul VI fit immédiatement communiquer (dès 1965) aux évêques desdites régions qu’ils devaient revenir sans délai à l’unique usage licite, à savoir sur la langue : aussi bien cette requête que d’autres postérieures ne furent suivies d’aucun effet…

Au vu que la résistance à ces directives se montrait inébranlable, en 1968 commença à être considérée la possibilité de concéder un indult ponctuel pour les cas concrets où personne n’était disposé à obéir, alors même que cet usage apparaissait dans la pratique comme « très discutable et dangereux » et qu’il était manifeste qu’en cas d’erreur dans la résolution de cette affaire, il existait une réelle possibilité « d’affaiblir la foi du peuple en la présence eucharistique ». C’est pourquoi Paul VI qui, selon ses propres termes, « ne pouvait s’empêcher de considérer l’éventuelle innovation sans une évidente appréhension » ordonna une consultation “sub secreto” adressée à l’épiscopat mondial dans le but de faire face à ce difficile défi de désobéissance.

La consultation donna pour résultat qu’une grande majorité des évêques estimait dangereuse la moindre concession. En conséquence, le pape ordonna à la Sacrée Congrégation pour le Culte divin de préparer un projet de document pontifical où serait confirmée la pensée du Saint Siège quant à l’inopportunité de la distribution de la Sainte Communion dans la main des fidèles tout en en précisant les raisons (liturgiques, pastorales, religieuses, etc.).

C’est ainsi que, le 29 mai 1969, la Congrégation pour le Culte divin publia l’instruction Memoriale Domini qui contient la législation encore aujourd’hui en vigueur et qui pourrait se résumer comme suit : l’interdiction de la communion dans la main demeure la norme universelle et sont exhortés les évêques, les prêtres et les fidèles à se soumettre scrupuleusement à cette loi nouvellement confirmée. Cependant, là où cet usage –introduit de manière illicite– se serait enraciné, l’instruction prévoyait la possibilité de concéder un indult à ces secteurs n’étant pas disposés à obéir à cette exhortation papale de respecter le droit universel. Pour ces cas-là, en vue « d’aider les conférences épiscopales à remplir leur office pastoral, rendu souvent plus difficile du fait de la situation actuelle », le pape disposa que les respectives conférences épiscopales –à la condition d’avoir obtenu l’approbation des deux tiers de leurs membres– pourraient solliciter à Rome un indult pour que chaque évêque membre de cette conférence, selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser la pratique de la communion dans la main en son diocèse.

Pour la reconstruction historique, Mgr Laise reprend les détails de l’intéressant récit des faits dû à Mgr Annibale Bugnini qui, dans ses mémoires –La Riforma liturgica 1948-1975– les expose non seulement en tant que témoin, mais comme protagoniste. Selon les documents retranscrits dans ce livre, cette concession avait pour objectif principal d’éviter avant tout qu’en « ces temps de forte contestation […] l’autorité ne se voie désavouée en maintenant une interdiction qui aurait été difficilement respectée dans la pratique ». De fait, à l’heure d’envisager les différentes solutions possibles, la mise en garde suivante avait été émise : « il convient aussi de prévoir une réaction violente dans certains endroits et une désobéissance plutôt répandue, là où l’usage s’est déjà introduit ». Par ailleurs, la volonté évidemment restrictive du législateur, clairement exprimée dans le document, aurait dû obtenir que la concession soit interprétée et fut appliquée de telle façon que soit favorisée le moins possible la diffusion de ce rite.

Cette législation ne fut jamais modifiée par la suite, pas plus que les possibilités d’introduire la communion dans la main ne furent jamais amplifiées. Néanmoins, tant les demandes faites par les conférences épiscopales –en dépit de ne point réunir les conditions exigées pour réaliser la sollicitude de l’indult– que l’insistance en vue de reconsidérer la question dans des lieux où avait été déjà vérifiée au préalable l’absence de ces conditions restrictives ; tant la concession exagérément facilitée par le dicastère correspondant que, surtout, le silence absolu qui s’imposa ensuite sur l’irréductible désobéissance qui, comme l’explique fort bien Mgr Laise, fut précisément la seule raison par laquelle la concession fut octroyée : tout ceci fit que cette pratique se répandit de façon quasiment universelle.

Un autre aspect de l’étude de Mgr Laise qui attire l’attention a trait à ce qu’elle démontre que la praxis nouvelle n’est pas à vrai dire une « redécouverte » d’une « ancienne tradition », celle de « communier de nouveau comme dans l’Église des origines et des Pères », ainsi que l’on peut fréquemment l’entendre. À ce sujet, j’ai pu exposer, en présence de Mgr Laise, la conviction que l’évangile de saint Jean et les écrits de certains Pères, ainsi que le Codex Purpureus Rossanensis du VIème siècle, d’origine syriaque, montrent à l’inverse que Jésus donna la communion aux Apôtres sur la langue.

L’instruction Memoriale Domini explique clairement que, si durant le christianisme primitif la Sainte Communion était normalement reçue dans la main, « par la suite, lorsque la vérité et l’efficacité du mystère eucharistique, ainsi que la présence du Christ en lui, ont été plus approfondies, on a mieux ressenti le respect dû à ce Très Saint Sacrement et l’humilité avec laquelle il doit être reçu, et la coutume s’est établie que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de Pain consacré ».

C’est ainsi qu’à un certain moment, un usage finit par remplacer l’autre, au point que le premier non seulement fut abandonné, mais même explicitement interdit. Dans ce contexte, il apparaît clairement que, pour Paul VI, ce changement représentait un réel progrès : le passage d’un usage imparfait à un autre meilleur. Et fort justement du reste, car les anciens textes patristiques ne mentionnent aucun avantage spécifique de continuer avec l’ancienne manière de communier ; il ne se trouve pas non plus, dans les écrits des Pères, un quelconque éloge relatif à cet usage en tant que tel : ils se limitent simplement à décrire l’unique usage qu’ils connaissaient. Au contraire, comme le souligne Mgr Laise, en alertant à maintes reprises sur les dangers que présente cette façon de communier, ils mettent en exergue une imperfection inhérente à celle-ci. C’est pourquoi, nous dit l’auteur, il peut être affirmé que la communion dans la main fut assurément la manière de communier que connurent les Pères, mais que la communion sur la langue est celle qu’ils auraient désirée avoir.

Quelques siècles plus tard, l’usage de communier dans la main, « neutre » à l’époque patristique, fut reprise par les protestants, mais alors, avec une évidente connotation doctrinale ; ainsi, par exemple, Martin Bucer –assesseur de la réforme anglicane– affirme que la pratique de ne pas donner la communion dans la main était due à deux « superstitions » : « l’hommage faux qui prétend être donné à ce sacrement » et « la croyance perverse » que les mains des ministres, de par l’onction reçue lors de leur ordination, seraient plus saintes que celles des laïcs. À partir de ce moment, le geste consistant à recevoir la communion dans la main sera marqué d’un sens nettement polémique, le mettant en opposition à la communion sur la langue comme expression d’une doctrine contraire et cela sur deux points fondamentaux qui distinguent la position protestante de la catholique : la présence réelle et le sacerdoce. Cette implication ne pourra pas être ignorée par la suite.

C’est pourquoi, lorsque l’usage de donner la communion dans la main commença à s’introduire dans les milieux catholiques au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, il ne pouvait s’agir désormais d’un simple retour à un geste primitif. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, comme le remarque Mgr Laise, si l’un des premiers endroits où la communion dans la main commença à s’imposer fut justement celui où fut publié, peu de temps auparavant, le soi-disant « Nouveau Catéchisme », plus connu sous le nom de « Catéchisme hollandais », auquel le Saint Siège dut imposer de nombreuses modifications –quatorze principales et quarante-cinq secondaires– afin de corriger de graves erreurs doctrinales. Ce livre, dont l’épiscopat hollandais était à l’origine de sa commande puis de sa présentation par une « lettre pastorale collective », mettait en doute, entre autres choses, la présence réelle et substantielle du Christ dans l’Eucharistie ; il y était donnée une explication inadmissible de la transsubstantiation et était niée toute sorte de présence de Jésus Christ dans les particules ou fragments de l’hostie qui se détachaient après la consécration ; d’autre part, une confusion était formulée entre le sacerdoce commun des fidèles avec le sacerdoce hiérarchique.

Un troisième aspect que le regretté évêque argentin met très opportunément en relief tient au fait que, y compris là où il est permis de donner la communion dans la main, il ne s’agit pas d’une option supplémentaire proposée par l’Église ayant la même valeur que l’autre usage en vigueur. La position du Saint Siège quant à la manière de communier n’est en rien indifférente : la communion sur la langue est l’unique façon autorisée par la législation universelle de l’Église et elle est clairement recommandée, alors que l’autre, fruit d’un indult, n’est seulement que tolérée –et cela comme conséquence de ce que Mgr Laise appelle la « désobéissance la plus grave à l’autorité papale de ces derniers temps »– ; et, au cas où elle serait pratiquée, elle requiert une série de précautions, notamment en ce qui concerne la propreté des mains et le soin méticuleux et attentif pour ce qui regarde les fragments ou particules – prescriptions qui, par ailleurs, ne sont guère prises en considération dans la pratique.

Selon ce qui est affirmé dans l’instruction Memoriale Domini, le document qui contient la législation en vigueur, cette forme de communier, qui a universellement substitué depuis plus d’un millénaire la communion dans la main, « fait partie de la préparation requise pour recevoir le Corps du Seigneur d’une façon très fructueuse » et « assure plus efficacement que la Sainte Communion soit distribuée avec le respect, le décorum et la dignité qui lui conviennent ; que soit écarté tout danger de profanation des espèces eucharistiques […] et qu’enfin soit attentivement respecté le soin que l’Église a toujours recommandé à l’égard des fragments de Pain consacré ». Avec la communion dans la main, en revanche, un miracle serait nécessaire pour, qu’à chaque communion, aucune particule ne tombe au sol ou ne reste collée dans la main du fidèle.

Pour cette raison, Paul VI rappelait dans son encyclique Mysterium Fidei ce qu’Origène énonçait : « les fidèles se jugeaient coupables –« et à juste titre » ajoute le pape– si, devenus dépositaires du Corps du Seigneur, et tout en l’entourant d’attention et de vénération extrêmes, ils en laissaient tomber une parcelle par négligence » 1

Tant les expressions des Pères que le changement à la fin du premier millénaire de la façon de communier, ou les arguments de Paul VI pour refuser la réintroduction de l’usage archaïque, reflètent tous la foi unique de l’Église qui demeure toujours la même : la foi en la présence réelle, substantielle et permanente, jusque dans les plus petites particules qui exigent attention et adoration2.

Tels sont, en résumé, les thèmes centraux du livre. Mais quelqu’un pourrait peut-être se demander si un livre écrit il y a déjà un quart de siècle ne serait pas devenu obsolète.

Les réimpressions successives comprenant plusieurs mises à jour et en diverses langues (ainsi cinq éditions en espagnol 1ère à 3ème éd. en 1997, 4ème en 2005, 5ème, New York, en 2014 ; deux en français, Paris, en 1999 et 2001 ; deux italiennes en 2015 ; une polonaise, Cracovie, en 2007 et cinq en langue anglaise en 2010, 2011, 2013, 2018, 2020) apportent la preuve, comme l’avait signalé l’auteur lui-même, qu’au-delà des circonstances temporelles et géographiques qui motivèrent cette étude, il y a des aspects pérennes qui peuvent encore intéresser le lecteur et lui apporte:

a) un accès à la législation authentique relative à cette question, totalement méconnue par les fidèles et bon nombre de pasteurs;

b) la situation historique où cette législation fut élaborée ;

c) des indices pour comprendre les conséquences dramatiques que peut entraîner la pratique de la communion dans la main quant à la foi en la présence réelle et à la piété eucharistique ;

d) des éléments étayant la réflexion sur la relation entre l’évêque et sa conférence épiscopale, ainsi que sur son indépendance en ce qui a trait au gouvernement de son diocèse ;

e) une réflexion sur le mode de fonctionnement de certains « mécanismes de pression » au sein de l’Église, à même de retourner une décision papale qui reflète une manière d’agir qui a été et est, encore aujourd’hui, en usage dans d’autres domaines.

Je voudrais ajouter également deux témoignages de l’importance que conserve encore ce livre : en premier lieu, un article du professeur Mauro Gagliardi –ancien consulteur du Bureau des Célébrations liturgiques du Souverain Pontife, nommé par Benoît XVI– paru dans la revue de la Faculté de philosophie et de théologie de l’Université Regina Apostolorum sous le titre « L’autorité législative de l’évêque diocésain sur la distribution de la communion dans la main. Notes sur la loi liturgique » (Alpha Omega, XVI, nº1, 2013, p. 127-138). Non seulement une section entière de l’article s’intéresse à Mgr Laise et à ses décisions, en citant son livre (nº9 « Un cas de non-application de l’indult » p. 135-136) mais, dans son intégralité, l’article coïncide avec la position et l’exégèse du prélat argentin, comme on peut le constater dans cette affirmation : « Si un évêque décidait de ne pas appliquer l’indult dans son diocèse, ce ne serait pas lui qui interdirait la distribution de la Sainte Communion dans la main, mais bien la norme générale confirmée par l’Autorité suprême –le Souverain Pontife Paul VI– au travers de Memoriale Domini. L’évêque simplement opterait pour ne pas privilégier un indult à cette norme. C’est-à-dire qu’en son diocèse serait maintenue l’observation sans exception de la norme traditionnelle actuellement en vigueur, confirmée de nouveau par Paul VI et qui ne souffrit aucune modification jusqu’à ce jour » (p. 135).

L’autre témoignage est celui de la thèse doctorale en Droit canonique de Don Federico Bortoli, publiée par la suite comme La distribuzione della comunione sulla mano : Profili storici, giuridici e pastorali (La distribution de la communion dans la main: études historiques, canoniques et pastorales) Cantagalli, 2018. Là encore, nous trouvons un chapitre entier sur l’évêque de San Luis (2.6.3. « L’indult en Argentine », p. 178-188). Don Bortoli y évoque ainsi Mgr Laise : « En bon canoniste, il a agi conformément à la norme légale et la pertinence de sa décision a été, de plus, confirmée par deux dicastères de la Curie romaine » et, plus loin, à propos du livre : « Par ailleurs, nous avons pu déduire, autant des réponses des conférences épiscopales à l’enquête de 1976 que du propre témoignage de Mgr Laise, et cela sans le moindre doute, que la pratique de la communion dans la main a été promue et incitée par les conférences épiscopales elles-mêmes, étant présentée comme la meilleure façon de recevoir l’Eucharistie, en faisant circuler l’idée qu’il en était ainsi tant de la volonté du Saint Siège que celle du Saint Père. En réalité, comme l’a souligné Mgr Laise, l’intention et le but de l’indult ne consistaient pas à promouvoir l’usage de la communion dans la main, mais d’aider les conférences épiscopales où cette pratique s’était déjà répandue et où son élimination paraissait difficile ».

Mais le livre de Don Bortoli contient une nécessaire « mise à jour » du travail de Mgr Laise, dans la mesure où il publie une documentation inédite à laquelle l’auteur a pu accéder dans le cadre de sa recherche doctorale et qui constituera désormais une œuvre de référence obligée en la matière. Cependant, cet aggiornamento, loin de corriger ou de rendre caducs certains aspects du travail du prélat argentin, permet à Don Bortoli d’en faire connaître de nouveaux qui, non seulement le confirment, mais exposent les points atteints qu’il n’avait pu imaginer.

C’est ainsi que, non seulement se trouve confirmé le refus de Paul VI pour l’introduction de cette pratique dans les années 1960 –déjà démontré par les témoignages historiques réunis par Mgr Laise–, mais il documente la tentative postérieure du même pape pour en limiter les effets et surtout la déconseiller. Ainsi, le 19 janvier 1977, fait-il envoyer par le Secrétariat d’État au préfet de la Congrégation pour le Culte divin un pro-mémoire avec l’indication suivante : « Étant donné qu’il s’agit d’une affaire éminemment délicate et importante, Sa Sainteté m’a chargé d’envoyer à Son Éminence Révérendissime copie du texte lui demandant d’étudier comment pourraient être appliquées les recommandations émises par Son Éminence le préfet de la Sacrée Congrégation pour la Cause des saints [cardinal Bafile] ».

Les suggestions transmises étaient les suivantes : « Suspendre la concession de tout nouvel indult ; énoncer de manière explicite que, là où l’indult n’a pas été concédé, la pratique de la communion dans la main est illégale et rappeler que, même quand l’indult a été concédé, la pratique en question doit être déconseillée ». Les raisons de ces mesures visaient à éviter les conséquences qui se produisaient, à savoir : « la diminution de la piété eucharistique, la dispersion de fragments de l’hostie, rendre plus faciles les sacrilèges par la substitution d’hostie consacrée et l’impossibilité, en dépit de tous les inconvénients que présente cette pratique, pour qu’un prêtre puisse refuser de distribuer la communion dans la main ». Mais cette recommandation ne fut pas suivie par le préfet du Culte, le cardinal Knox. Un an après, le 1er février 1978, une nouvelle lettre a été émise par le Secrétaire d’État où, de nouveau, il est demandé de la part de Paul VI que la Congrégation pour le Culte divin interdise l’extension de l’usage de la communion dans la main : elle ne fut pas non plus suivie d’effet3 .

Finalement, le Secrétaire d’État transmet une nouvelle fois l’ordre du pape –alors Jean-Paul II– de suspendre la concession de nouveaux indults, cette fois avec succès, mais cette disposition rencontra une forte résistance. Ainsi, par exemple, le 21 décembre 1984, l’évêque d’Ivrea, Mgr Luigi Bettazzi, écrivit à Jean-Paul II à l’occasion de la fête de Noël ; profitant de l’occasion, il exprima son opinion sur ce qu’il qualifie comme « un problème, peut-être marginal, mais emblématique » : la communion dans la main.

Bettazzi regrette que la Conférence épiscopale italienne n’ait pas encore obtenu l’indult et critique Jean-Paul II pour avoir suspendu d’éventuelles nouvelles concessions, lui disant : « Il ne me semble pas correct que vous utilisiez votre autorité de cette manière ». Deux mois après, en février 1985, les indults commencèrent à être concédés comme auparavant, après cinq ans de suspension.

Un autre aspect du livre de Don Bortoli qui confirme la position de Mgr Laise : la description de l’attitude du pape Benoît XVI et les déclarations des hauts prélats de la Congrégation pour le Culte divin appuyant sa position. Il convient de rappeler que depuis la Fête Dieu de 2008, Benoît XVI réintroduisit dans la liturgie papale l’administration de la Sainte Communion exclusivement sur la langue.

L’explication de cette décision de la part du Bureau pour les Célébrations liturgiques du Souverain Pontife a été publiée sur la page web du Vatican. On y rappelle que, déjà à l’époque des Pères, la communion sur la langue avait commencé à être privilégiée, essentiellement pour deux raisons : pour éviter au maximum la dispersion des fragments eucharistiques et pour favoriser l’intensité de la dévotion des fidèles pour la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Il est fait référence à saint Thomas d’Aquin qui affirmait que, par respect pour le Très Saint Sacrement, l’Eucharistie ne doit pas être touchée par ce qui n’est pas consacré, ainsi, de même que pour les vases sacrés et le corporal, seules les mains du prêtre possèdent cette faculté. De plus, est soulignée la nécessité d’adorer le Seigneur avant de Le recevoir, comme le rappelle saint Augustin, et se mettre à genoux favorise justement cette attitude. Finalement, l’avertissement de Jean-Paul II est rappelé, selon lequel aucun risque d’exagération ne peut jamais être encouru quand il s’agit de l’attention au mystère eucharistique.

Benoît XVI expliqua par ailleurs lui-même ce choix de cette façon : « En faisant que la communion fut reçue à genoux et sur la langue, j’ai voulu donner un signe de profond respect et poser une marque d’exclamation au sujet de la présence réelle. […] Je voulais donner un signal fort, cela doit être clairement affirmé : il s’agit de quelque chose de spécial ! Il est là, c’est devant Lui que nous tombons à genoux. Prêtez attention ! Il ne s’agit pas d’un rite social ordinaire auquel on puisse participer ou non » (Luce del mondo. Il Papa, la Chiesa e i segni dei tempi. Una conversazione con Peter Seewald. Libreria Editrice Vaticana, 2010, p. 219).

Le 10 avril 2009, le cardinal Antonio Cañizares Llovera, déjà nommé préfet de la Congrégation pour le Culte divin mais encore administrateur apostolique de l’archidiocèse de Tolède, au cours de la célébration dans sa cathédrale de la messe in Cœna Domini, annonça qu’au moment de la communion un prie-Dieu serait installé pour inviter les fidèles à communier ainsi que le désire le pape, replaçant cette décision dans le contexte d’une tentative de récupérer le sens du sacré dans la liturgie. Le 27 juillet 2011, une interview du même prélat parut dans ACI Prensa / EWTN Noticias avec pour titre : « Il est recommandé de communier sur la langue et à genoux ».

Le cardinal Ranjith procéda de la même façon, en particulier durant la période où il fut archevêque-secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements. En 2008, par exemple, ayant observé comment la pratique de la communion dans la main s’était imposée de fait comme une pratique habituelle pour toute l’Église, il estima que le moment était venu d’envisager la possibilité d’y mettre fin au vu de toutes les conséquences négatives qu’elle avait apportées, en reconnaissant avec beaucoup d’humilité que ce fut une erreur de l’avoir permise et en espérant que dans le futur la communion sur la langue et à genoux redeviendrait la pratique habituelle de toute l’Église.

Mais, outre ces faits et citations, le contenu du livre de Mgr Laise reçoit une confirmation additionnelle et autorisée avec la préface du livre de Don Federico Bortoli, antérieurement mentionné. Cette préface, due à l’actuel préfet de la Congrégation pour le Culte divin, le cardinal Robert Sarah, est une belle défense de la position des papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. Nous nous arrêterons sur quelques phrases : « Voyons maintenant comment la foi dans la présence réelle peut influencer la façon de recevoir la communion et réciproquement. Recevoir la communion dans la main implique indubitablement une grande dispersion de fragments. En revanche, l’attention aux moindres parcelles, le soin apporté à la purification des vases sacrés, le fait de ne pas toucher l’hostie avec des mains en sueur, deviennent des professions de foi en la présence réelle de Jésus, y compris dans les plus petites parties des espèces consacrées : si Jésus est la substance du Pain eucharistique et si les dimensions des fragments ne sont que des accidents touchant seulement le pain, peu importe alors que le morceau d’hostie soit grand ou petit ! La substance est la même ! C’est Lui4! Au contraire, la négligence envers les fragments fait perdre de vue le dogme : petit à petit pourrait se répandre l’idée que “si pas même le curé ne prête attention aux fragments, s’il administre la communion de façon à ce que les fragments puissent être dispersés, alors Jésus n’y est pas présent ou alors seulement jusqu’à un certain point ”. […] Pourquoi nous obstinons-nous à communier debout et sur la main ? Pourquoi cette attitude de refus de soumission aux signes de Dieu ? Qu’aucun prêtre n’ose prétendre imposer son autorité à ce sujet en refusant ou maltraitant ceux qui désirent recevoir la communion à genoux et sur la langue : approchons-nous comme des enfants et recevons humblement le Corps du Christ à genoux et sur la langue ».

Plus loin, le cardinal Sarah poursuit : « Le Seigneur guide le juste par des “voies droites” (Sg X, 10) et non par des subterfuges ; en conséquence, au-delà des motivations théologiques examinées précédemment, la façon même dont a été diffusée la pratique de la communion dans la main semble donc avoir été imposée sans suivre les voies de Dieu ». Et il conclut : « Puisse cet ouvrage encourager tous les prêtres et les fidèles qui, mus par l’exemple de Benoît XVI –qui dans les dernières années de son pontificat tint à distribuer l’Eucharistie sur la langue et à genoux– désirent administrer ou recevoir l’Eucharistie de cette même façon, combien plus appropriée à ce sacrement. J’espère que se produira ainsi une redécouverte et une promotion de la beauté et de la valeur pastorale de cet usage. Il s’agit selon moi d’une question importante sur laquelle l’Église d’aujourd’hui doit se pencher. C’est un acte supplémentaire d’adoration et d’amour que chacun de nous peut offrir au Christ. Je suis très heureux de voir tant de jeunes choisir de recevoir Notre Seigneur avec une telle révérence, à genoux et sur la langue ».

Pour finir, je voudrais ajouter un témoignage jusqu’à ce jour inédit : la lettre qu’en 2005 Mgr Laise écrivit au pape Benoît, avec lequel il entretint une longue relation, ayant rendu de nombreuses visites au cardinal préfet de la Doctrine de la foi : « J’estime également que le Synode sur l’Eucharistie devrait s’attarder en un examen de conscience au sujet de l’extension de la permission de donner la communion dans la main à la presque totalité des Églises locales, ce qui n’avait été seulement concédé en 1969 qu’à quelques Églises locales d’Europe, suite à une demande particulière de leurs pasteurs ».


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1 Paul VI, Mysterium Fidei : « Re quidem vera fideles reos se credebant, et merito quidem, ut memorat Origenes, si corpore Domini suscepto, et cum omni cautela et veneratione servato, aliquid inde per neglegentiam decidisset (In Exod. fragm.; PG 12, 391). Paul VI, Mysterium Fidei,” http://www.vatican.va/content/paul-vi/en/encyclicals/documents/hf_p-vi_enc_03091965_mysterium.html (NdE).


2 À ce propos, Mgr Laise précise : « On pourrait ici se demander ce qu’il faut entendre par “fragments”. Pour répondre aux doutes qui lui ont été soumis, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a répondu avec clarté : “Après la Sainte Communion, outre les hosties qui restent et les fragments qui s’en sont détachés et qui conservent l’aspect extérieur du pain doivent être conservées ou consommées respectueusement, à cause du respect dû à la présence eucharistique du Christ ; il en est de même pour les autres fragments d’hosties (quoad alia hostiarum fragmenta) pour lesquels doit être observé ce qui est prescrit au sujet de la purification de la patène et du calice dans les Normes générales du Missel romain”… » (La Communion dans la main, Paris, 1999, p. 51). Le texte original et son commentaire peuvent être consultés dans la revue officielle de la Congrégation du Culte divin Notitiae (75, Vol. 8 (1972) N. 7, p. 227-230) : DE FRAGMENTIS EUCHARISTICIS. Cum explanationes ab Apostolica Sede petitae sint circa modum se gerendi quoad fragmenta hostiarum, Sacra Congregatio pro Doctrina Fidei, die 2 maii 1972 (Prot. n. 89/71), declarationem dedit, quae sequitur: « Cum de fragmentis quae post sacram Communionem remanserint, aliqua dubia ad Sedem Apostolicam delata fuerint, haec Sacra Congregatio, consultis Sacris Congregationibus de Disciplina Sacramentorum et pro Cultu Divino, respondendum censuit: Post sacram Communionem, non solum hostiae quae remanserint et particulae hostiarum quae ab eis exciderint, speciem panis retinentes, reverenter conservandae aut consumendae sunt, pro reverentia quae debetur Eucharisticae praesentiae Christi, verum etiam quoad alia hostiarum fragmenta obeserventur praescripta de purificandis patena et calice, prout habetur in Institutione generali Missalis romani, nn. 120, 138, 237-239, in Ordine Missae cum populo, n. 138 et sine populo, n. 31. Hostiae vero quae non statim consumuntur, a ministro competente deferantur ad locum sanctissimae Eucharistiae conservandae destinatum (cf. Institutio generalis Missalis romani, n. 276) ». (NdE)


3 Le cardinal Knox manifesta son désaccord avec les suggestions du cardinal Bafile, expliquant que ce désaccord était la raison de son refus à la sollicitude que le pape lui avait transmise à deux reprises par l’intermédiaire de la Secrétairerie d’État. Cependant, comme le relève Don Bortoli : « Il convient de noter […] que l’invitation du pape ne consistait pas à évaluer la possibilité ou non d’appliquer les suggestions de Bafile, mais seulement d’étudier comment appliquer ces suggestions » (id., p. 152). (NdE)


4 Le cardinal Sarah ne fait ici que reprendre la position argumentée de la Congrégation pour le Culte divin précédemment citée en note 2. (NdT)